Quand le sage montrait la crise du logement, les libéraux regardaient …
- mars 2, 2024
- Envoyé par : Arland Mehmetaj
- Catégories: Actualité immobilière, Analyse et débat, Edito de Garage&Grenier, Parti pris
La crise de l’immobilier ! Sans jamais parler de la crise du logement.
Il paraît, du moins c’est ce que tout le secteur de l’immobilier penserait, que “si l’on répète mille fois un mensonge, il se transforme en vérité”. Je peux bien essayer mais ce mythe de la crise de l’immobilier, telle que présentée actuellement, aura du mal à prendre l’allure d’une vérité. Et pourtant, depuis plus d’un an, on entend parler que de ça.
La crise de l’immobilier ! La crise de l’immobilier !
Je peux regarder partout. Dans toutes les statistiques publiées. Dans tous les baromètres, de telle ou telle institution. Dans tous les chiffres des professionnels. Pas une trace de quelconque crise. Du moins, ce n’est pas aussi évident que ça.
De quoi souffre le marché de l’immobilier ?
Des difficultés ? Oh, oui, il y en a ! De nombreuses difficultés secouent l’immobilier depuis fin 2022 : la baisse des acquéreurs à cause de l’augmentation des taux, la baisse du volume des transactions, la hausse des marges de négociation, voire une baisse de prix. Il y a des difficultés. Incontestablement.
Des complications ? Plus que ça, même. Des milliers de mandataires immobiliers qui arrêtent leurs activités. Des centaines d’agences qui baissent le rideau. Des promoteurs immobiliers et constructeurs qui licencient. Des études notariales qui se serrent la ceinture.
La crise immobilière ? Non, toujours pas. On peut éventuellement parler de la crise du secteur intermédiaire de l’immobilier. Mais des agences immobilières qui ferment, et je suis particulièrement sensible au sort des salariés de ces entreprises, ce n’est pas une crise de l’immobilier.
Les mots ont un sens et une importance. Et pour bien définir un sujet, il est judicieux de commencer par utiliser les bons mots.
Pourquoi la crise de l’immobilier n’en est pas une ?
Je peux bien retourner la question dans tous les sens, et on le fera ensemble, ce que l’on vit dans l’immobilier aujourd’hui ne s’apparente pas à une crise.
Si l’on part du postulat qu’une crise économique, au sens stricte, est un déséquilibre entre l’offre et la demande, l’immobilier est un secteur dans une crise permanente. En effet, ce déséquilibre existe constamment. Cependant, il y a encore deux ans, la demande dépassait largement l’offre et des tas de gens sont restés bredouilles sans pouvoir se loger ou ont acheté ou loué par défaut un logement qui ne leur correspondait pas. Pire, énormément de propriétaires ayant besoin légitime de changer de logement ont abandonné leur projet de vente par peur de ne rien trouver par la suite. Et pourtant, peu parlaient de quelconque “crise”.
Ce qui est tout à fait normal. Pourquoi se soucier des vendeurs et acquéreurs, ou encore des locataires, et ce qu’ils/elles traversent réellement ? Tout allait bien en apparence : les agences immobilières, les sociétés mandataires, les promoteurs et les études notariales poussaient comme des champignons et leur chiffre d’affaires montait au moins aussi fort que la demande des logements. Et personne parmi ce beau monde, qui aime bien se présenter comme spécialiste de l’immobilier connaissant le marché et ses tendances, ne s’est pas dit que la bulle risque fort d’exploser ?
L’état de tout un secteur économique aujourd’hui illustre très bien cette excellente connaissance du marché et de ses tendances. Ils nous excuseront si nous ne les applaudissons pas. Enfin, le “qui aurait pu le prévoir ?!” est particulièrement d’actualité depuis quelque temps, notamment lorsque cela concerne les événements fortement prévisibles.
Dans tous les cas, il y a encore deux ans où énormément de personnes, vendeurs comme acquéreurs potentiels, souffraient réellement de la situation sur un marché totalement déséquilibré, nous n’avions pas parlé de crise. Aujourd’hui, il n’y a pas un seul jour sans entendre un journaliste, un éditorialiste, un expert, en parler tout au long de la journée.
Donc, selon cette logique, ce sont les variations de chiffre d’affaires du secteur intermédiaire de l’immobilier qui déterminent si l’on vit une crise ou non. Hélas, les sciences économiques ne suivent pas la logique de CNews ou BFM et ont leur propre définition.
En réalité et pour conclure, que ça soit au sens strict ou selon toutes les définitions utilisées pour définir une crise, ce que l’on vit aujourd’hui dans l’immobilier ne répond pas ou ne répond que très partiellement à ces dernières.
La 2023, finalement une bonne année pour le marché de l’immobilier
Oui, je le maintiens. La 2023 a été une très bonne année pour le secteur immobilier. Les chiffres l’attestent.
Sans vous faire ensevelir sous une avalanche de chiffres et tableaux, ma chère lectrice, mon cher lecteur, il sera intéressant d’en citer deux :
- Près de 900 000 transactions dans l’ancien en 2023. Plutôt pas mal !
- Une baisse de prix entre 1,4 % et 1,8 % au niveau national par rapport à 2022 avec une forte différence d’une région à l’autre, dont certaines qui enregistrent une hausse de 2 à 4% malgré “la crise”
Pourquoi ces chiffres sur le volume de ventes et le prix ? Tout simplement, parce que ce sont ces deux points qui sont les plus utilisés pour illustrer l’effet de la prétendue “crise de l’immobilier”. D’ailleurs, ce sont quasiment les deux seuls indicateurs que la profession possède réellement. Au détriment du secteur tout entier, malheureusement.
Tout d’abord, concernant le prix, le constat est sans appel. On nous annonçait pendant des mois une dégringolade radicale des prix de l’immobilier. A l’arrivée, il s’agit d’un timide recul qui existe seulement à cause des fortes baisses dans certains secteurs parisiens et une partie des métropoles. En province, certaines zones enregistrent même des hausses de prix, comme par exemple la Bretagne, la région marseillaise, etc. Même si la baisse est plus conséquente, le niveau de prix reste sur les moyennes hautes sur les 10 dernières années, avec des conditions bancaires bien plus contraignantes. N’oublions pas que la 2023 arrive suite à des années de hausses exceptionnelles et totalement disproportionnées, qui ne dérangeaient apparemment personne.
Ensuite, le nombre de transactions. Si l’on peut constater une baisse de près de 20% par rapport à 2022, une année avec 900 000 ventes annuelles dans l’ancien titille la moyenne haute au regard des 10 dernières années. Il ne faut pas oublier que nous avons commencé à franchir le palier des 900 000 ventes annuelles depuis 5 ans, seulement. Si l’attractivité des taux d’intérêt, couplée à l’effet post confinement, a apporté un boost exceptionnel entre 2020-22, rien n’indique que ces deux-trois années doivent absolument servir comme référence.
Enfin, même 1 200 000 transactions par an, c’est peu pour un pays comme la France vu le nombre de candidats à l’achat et à la location. Et c’est un véritable problème. Mais cette problématique là ne peut pas se régler ni réguler avec les conditions bancaires favorables, avec les nouvelles fiches fiscales ou avec la prospérité illimitée des intermédiaires de l’immobilier. Cela a été testé et a été un échec fulgurant. Parce que… ce n’est pas une crise de l’immobilier. C’est la crise du logement qui, elle, est bien réelle.
L’immobilier mérite mieux que les professionnels qui (ne) le représentent (pas)
Comme je le disais précédemment, même avec 1 200 000 transactions comme en 2022, un pays comme la France serait loin du compte. Et cette situation là ne sera pas réglée en augmentant le volume des transactions ou en attendant que le marché régule davantage les prix. Parce qu’il s’agit de la problématique du déficit des logements en France. Un déficit qui perdure depuis plusieurs décennies, en France comme dans une large partie de l’Europe.
C’est bien là, la véritable crise. C’est la crise du logement. Et c’est devant cette crise là que l’on ferme les yeux depuis des années. Même, aujourd’hui, où absolument tous les acteurs, directs et indirects, en subissent les conséquences, on en parle très timidement. On la met en arrière plan en cherchant des hyper-solutions immédiates pour régler la problématique du nombre de transactions ou relancer la vente des promoteurs, d’abord.
Il fallait attendre que le retournement du marché commence à toucher lourdement le portefeuille de ses adhérents pour que l’on entende le président de la FNAIM en toucher quelques mots et même citer l’abbé Pierre. Cela pousserait à sourire, même à le trouver très touchant, si l’hypocrisie n’était pas aussi visible et risible.
Quand on cite l’abbé Pierre, on n’est pas sans savoir que la fondation Abbé Pierre, de son côté et contrairement à la Fnaim ou toute autre organisation patronale immobilière, publie chaque année un rapport détaillé sur la situation du logement en France et en Europe. Ces rapports sont le fruit des travaux colossaux entrepris par les salariés et les bénévoles de l’association et ses partenaires en permanence et en contact direct avec la population. Aussi, ils comportent les synthèses et compilations d’autres études comme référence. Seriez-vous étonné·e si je vous disais qu’il n’y a absolument aucune référence issue des professions immobilières ?
En effet, en tant que professionnel de l’immobilier qui essaie d’avoir une vue sur le secteur dans sa globalité, je suis un fervent lecteur de ces rapports si complets et exhaustifs. Pourtant, leurs contenus sont paradoxalement inconnus de ceux qui devraient être, en toute logique, des professionnels du secteur et être les premiers à manier toutes ces données avant quiconque. Pourtant, il n’en est rien. Rien de plus que le nombre de ventes et le chiffre d’affaires réalisé. C’est autant insuffisant que tout simplement honteux.
C’est la raison pour laquelle je considère que l’immobilier, la question de logement et nos projets immobiliers de location, de vente et d’acquisition, méritent beaucoup mieux et beaucoup plus que le secteur professionnel actuel.
La profession immobilière devrait jouer un rôle social concret, plus près de la population et de ses besoins. A défaut, même la légitimité de son rôle de l’acteur économique est sur la sellette. Condamnée à subir les évidences qu’elle ne sait pas prévenir et anticiper. Condamnée à l’attentisme vis-à-vis des actions gouvernementales. Condamnée au cannibalisme pour quelques miettes de commissionnement. Sans retrouver sa place de porteuse d’un véritable projet de l’intérêt général, sans un rôle véritablement social, sans être une véritable force de proposition, la profession immobilière est condamnée à répondre au téléphone et ouvrir les portes, et cela seulement si les clients sont là.
Derrière une fausse crise de l’immobilier, une véritable crise du logement
Pour conclure cet article, je voudrais signaler que, professionnel immobilier moi-même, j’ai une pensée particulière pour tous ces professionnels qui, au delà de faire leur métier en respectant les règles de l’art et la déontologie, sont véritablement investis sur leur lieu de vie et de travail au plus près de la population et de leur clients. Les intérêts de ces derniers sont, pour eux, toujours plus importants que les commissions. C’est sûrement d’ailleurs la raison pour laquelle ils continuent leurs activités malgré les difficultés que le secteur connaît.
Car il s’agit bien des difficultés et non d’une crise de l’immobilier. La seule crise immobilière que la France connaît réellement n’est pas liée au nombre de transactions ou le chiffre d’affaires des agences ou des notaires. Et ces deux points ne sont aucunement des indicateurs pertinents que l’on peut utiliser lors des analyses sérieuses.
Ce que l’on vit actuellement est le sommet d’une crise qui dure depuis des années, voire des décennies. La crise du logement. Et tant que nous continuerons à éclipser ce problème là, comme nous le faisons depuis si longtemps, au profit des faux problèmes, cette crise perdurera. Et nous en souffrirons toutes et tous.
Ce post n’a pas pour l’objectif de nier ou minimiser les difficultés que rencontrent actuellement les intermédiaires de l’immobilier. Il a plutôt vocation, modestement et à son niveau, de tourner la lumière vers des choses biens plus graves et qui nous touchent toutes et tous de manière générale.
Nous ne pouvons pas continuer à réserver autant d’espace médiatique aux difficultés des acteurs économiques du secteur au détriment des sujets de fond. Les agences, les études notariales, les promoteurs constructeurs et autres professions ont eu un rôle dans ce qui arrive actuellement. Par la recherche permanente des bénéficies et de l’accumulation du capital, d’abord. Par leur passivité face à la financiarisation du secteur et leur manque d’anticipation, ensuite. Leur silence coupable depuis toutes ces années face à la crise du logement qui se creusait davantage chaque année les oblige à se mettre en retrait s’ils ne se réinventent pas.
Il est indécent de continuer à parler de la crise de l’immobilier en prenant en compte ce que traversent seules professions immobilières, quand on sait que plus de 330 000 personnes sont sans domicile fixe.
Il est choquant de répéter, encore et encore, à quel point c’est dur pour les notaires quand on sait que 26% des ménages en France ont eu froid chez eux cette année (ils étaient 16 % en 2020). Il est révoltant de parler du manque à gagner pour les agents immobiliers ou les promoteurs, lorsque près de 15 000 000 de personnes sont réellement victimes de la crise du logement, soit mal-logées soit dangereusement fragilisées, notamment économiquement par le logement.
Il est tout simplement abberant de continuer à parler des indicateurs purement financiers quand des dizaines et dizaines de milliers des personnes, propriétaires comme locataires, sont obligées de repousser continuellement ou de totalement abandonner leur parcours logement, malgré de réels besoins.
Il s’agit là des véritables indicateurs, humains, d’ une vraie crise du logement qui est profonde et se creuse davantage chaque année. Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas constater l’échec de tout un système. Nous ne pouvons non plus remettre la solution de ce problème pour toujours plus tard en nous éparpillant et en nous concentrant sur les symptômes. D’autant plus quand ces symptômes tournent seulement autour des difficultés de ceux qui sont en partie responsables du problème.
Le pire qu’il puisse arriver maintenant, ce sont quelques mesurettes impulsées par le gouvernement qui sortiraient les intermédiaires de l’immobilier de leur situation. Bien que l’amélioration de leur situation soit aussi souhaitée que impérative. A coup sûr, ils décrèteront que la crise de l’immobilier est bel et bien derrière nous et ils oublieront rapidement la véritable crise du logement.
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Et pourtant à force de monopoliser les plateaux télé en appelant à l’aide, c’est ce qui risque bien d’arriver. D’ailleurs, le 29ème rapport de la fondation Abbé Pierre, 70 ans après le fameux appel de l’abbé Pierre lui-même, est quasiment passé sous silence, contrairement aux interviews du PDG du promoteur VINCI.
J’ai commencé ce post par une citation, je le finirai par une dernière : “Avec un mensonge, on va très loin, mais sans espoir de revenir en arrière”.
Donc, arrêtons-nous là.
Vous pouvez trouver le 29 rapport de la Fondation Abbé Pierre en cliquant sur ce lien.
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