Décryptage : Le logement intermédiaire, le cheval de Troie d’un libéralisme décomplexé

Contrairement au Logement intermédiaire, depuis son entrée en vigueur il y a plus de vingt ans, la loi de Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) a profondément transformé le paysage de l’urbanisme et du logement en France. Au moment où la Loi SRU est en train d’être vidée de son essence, et à travers une expérience personnelle et professionnelle, cet article explore les réussites et les défis de cette législation emblématique, tout en jetant un regard critique sur les évolutions récentes et les enjeux futurs.

La Loi SRU : une vision d’avenir pour l’urbanisme français 

Aussi loin que je me souvienne, elle a toujours été là. Je suis arrivé en France au lendemain de la remise du rapport Sueur “Demain la ville” et la veille du vote de la loi de Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU). Le lendemain, j’ai commencé à exercer mes activités professionnelles, d’abord dans l’urbanisme, accompagné par ses premiers décrets d’application. Ensuite dans la promotion immobilière, accompagné par ses premiers résultats. Et enfin dans la transaction immobilière, toujours accompagné par la loi SRU et ses dispositions. Depuis le début, nous sommes donc inséparables, la Loi SRU et moi, et nous avons fait nos armes, côte à côte. Et nous avons, aussi, évolué en plus de 20 ans.

Le renouvellement Urbain, la démocratie locale et la décentralisation

D’abord, dans un bureau d’études et d’ingénierie en urbanisme et aménagement, j’ai participé à la création des premiers PLU (Plans Locaux d’Urbanisme) instaurés par la loi SRU. Tout dans le cadre d’un SCOT (Schéma de Cohérence d’Organisation Territoriale) de l’agglomération qui venait de voir le jour, lui-même instauré par la loi SRU.

Il faut savoir que la loi SRU a renforcé le rôle des collectivités territoriales dans l’aménagement urbain en leur donnant plus de pouvoirs et de responsabilités, notamment à travers la création des SCOT et des PLU. Ces derniers ont été une réelle révolution si l’on remettait les choses dans leur contexte.

Le rapport Sueur “Demain la Ville”, à l’origine de la loi SRU, avait pour objectif premier d’engager une réflexion sur les quartiers populaires. Mais le rapport a fini par conclure que l’on ne pouvait pas traiter la seule question des quartiers populaires  sans prendre en compte la politique de la ville toute entière, voire des territoires auxquels elle appartient. La mise en place des SCOT et des PLU, toujours d’actualité, allait dans le sens du rapport et de ses conclusions.

Depuis, ce cadre a évolué. Les SCOT, par exemple, ont été révisés par l’ordonnance du 17 juin 2020 relative à la rationalisation de la hiérarchie des normes applicable aux documents d’urbanisme. Cette évolution devrait permettre de répondre aux défis actuels, notamment en matière de développement durable, d’aménagement du territoire et de mobilité.

Le périmètre d’application des SCoT a été étendu pour englober des zones plus larges comme les aires urbaines ou les bassins d’emploi, soulignant l’importance d’une approche plus globale et intégrée. 

Ces applications servent désormais de référence pour la cohérence des diverses politiques sectorielles et doivent être compatibles avec les plans locaux d’urbanisme (PLU), les plans locaux d’habitat (PLH), et les plans de déplacements urbains (PDU). Cette modernisation des SCoT visait à les rendre moins formels, facilitant ainsi le passage à l’action des projets territoriaux. 

L’aménagement, le logement et… l’égalité urbaine

Ensuite, dans la promotion immobilière, la réglementation imposée par la loi SRU m’a été incontournable dans l’exercice de mes fonctions. Que ce soit dans les études du marché, le développement foncier ou dans le respect des règles de conception et de construction… La loi SRU a apporté une pierre fondatrice à tout projet immobilier et d’aménagement qui allait voir le jour depuis sa mise en vigueur. 

La promotion privée, sociale, mixte, peu importe. Ce fut bien la Loi SRU qui a permis à un secteur à la traîne de rattraper le retard. Les retards en construction existent toujours. D’énormes retards. La crise du logement l’atteste. Mais depuis sa mise en place, par exemple, près de 870 000  logements sociaux ont été construits en France, y compris dans les communes qui n’en avaient quasiment pas. 

L’obligation pour toute commune de plus de 3 500 habitants d’avoir au moins 20%, puis 25%, de logements sociaux a été une bouffée d’air frais. Tout ne s’est pas fait dans la facilité.Le chemin a été long, semé d’embûches et de résistances de la part des municipalités, souvent les plus aisées, réfractaires aux changements. Et bien sûr, nous sommes toujours loin du compte avec ces 800 000 logements supplémentaires. Mais où en serions-nous s’il y en avait beaucoup moins ou pas du tout ?

Les dernières évolutions réglementaires donnant plus de pouvoir aux préfets face aux communes récalcitrantes ont fait leur impact. Il n’était pas non plus question d’appliquer à l’extrême l’article 55 qui porte en lui une base très pragmatique. Certaines communes ne sont effectivement pas en mesure de construire des logements sociaux, voire de construire tout court. C’est pris en compte. 

Et c’est à ce moment là, où la loi SRU commence à donner des résultats, que le gouvernement Attal envisage de modifier les quotas des logements sociaux et y inclure les logements intermédiaires. Cela parait anodin, mais les conséquences pour le secteur du logement et le marché immobilier, pour des locataires comme pour des propriétaires accédants surtout les plus modestes, peuvent être dramatiques. Je reviendrai sur ce point plus tard. 

La crise du logement n'est pas un phénomène nouveau mais qui s'est aggravé au fil des décennies

La crise du logement en France est marquée par le mal-logement de millions de personnes, l’inefficacité des politiques, et une spéculation immobilière exacerbant le problème. Divers facteurs aggravent la situation éloignant des candidats à l’acquisition et la location. Les initiatives peinent à répondre aux défis écologiques et sociaux, nécessitant des réponses plus systématiques et concertées.

Lire plus : Crise du Logement : sauront-ils construire autre chose ?

L’obligation de transparence dans les transactions… et plus globalement dans l’immobilier

Et finalement, dans les transactions immobilières. Depuis plus de 20 ans, la Loi SRU inspire les nouvelles réglementations en matière de l’exercice des professions immobilières, des droits des acheteurs d’un bien immobilier et des transactions immobilières.

Transparence et obligations pour les professionnels de l’immobilier

Bien que cela soit plutôt associé à la loi ALUR, il est important de noter que la loi SRU a également posé les bases pour des pratiques plus transparentes dans le secteur immobilier. Cette loi a mis l’accent sur la nécessité de certaines obligations et responsabilités des professionnels qui continuent à inspirer les réglementations suivantes. 

C’est donc, en partie, grâce à elle que les professionnels de l’immobilier doivent désormais satisfaire à des obligations de formation continue et respecter une certaine éthique dans l’exercice de leurs métiers. 

Protection des acquéreurs de biens en copropriété

Depuis sa mise en vigueur et jusqu’à 2016, la loi SRU  a imposé un diagnostic technique (le diagnostic SRU) pour les immeubles de plus de 15 ans mis en copropriété. Ce diagnostic devait  être réalisé par un diagnostiqueur immobilier certifié et visait à informer le futur acquéreur sur l’état général du bâtiment et les travaux nécessaires. 

Bien que le diagnostic SRU était assez limité et ne prévoyait qu’un contrôle visuel, par un professionnel certifié, de certaines parties de la copropriété, il a donné naissance, à partir de 2027, au Diagnostic Technique Global. 

Le DGT ne se limite plus au contrôle visuel mais comporte bien plus de points de contrôle allant jusqu’à l’estimation des travaux éventuels pour l’ensemble de la copropriété. 

Cependant, à défaut d’être obligatoire, il est seulement conseillé pour tout immeuble de plus de 10 ans. Il est donc volontaire et la décision de le faire ou non appartient aux copropriétaires. 

Le délai de rétractation pour les acquéreurs d’un bien immobilier

Et enfin, le dernier dispositif, mais pas des moindres, instauré par la loi SRU est le délai de rétractation de 7, puis de 10 jours. Ce changement a permis aux acquéreurs de bénéficier de plus de temps pour réfléchir à leur achat et, si nécessaire, de se rétracter sans pénalité. 

De plus, pour que le délai de rétractation soit valable mais surtout pour qu’un compromis de vente soit valable, ce dernier doit être envoyé à l’acheteur par lettre recommandée avec accusé de réception, ou remis en mains propres, et le délai commence à partir du lendemain de la réception de ce document.

Ces mesures visent à protéger les acquéreurs dans le processus d’achat immobilier, en leur accordant un temps de réflexion suffisant et en s’assurant qu’ils disposent de suffisamment de temps pour consulter et examiner les informations contenues dans le compromis ou annexées à celui-ci.

Cet article explore la genèse de la loi SRU, ses principes fondateurs avec l’accent sur l’impact de l’article 55, tout en évaluant les défis et évolutions qui continuent de façonner son application et sa pertinence dans le paysage urbain contemporain.

A lire ici…

Logement intermédiaire -Que prévoit le plan gouvernemental pour la loi SRU ?

La loi SRU faisait consensus politique depuis plus de deux décennies. Même si certains partis politiques, par leur manque de réactivité et par leur passivité, se sont rendus coupables de complicité avec les communes récalcitrantes. Certains dispositifs ont pu montrer davantage d’efficacité s’ils étaient accompagnés de la volonté et du courage politique pour les appliquer.

Désormais, ce consensus n’est plus. Le gouvernement Attal a ciblé la loi SRU, notamment l’article 55, depuis ses débuts. Cela fait partie du dernier plan d’actions gouvernemental en faveur de relance du secteur de l’immobilier.

Bien entendu, le gouvernement Attal ne compte pas remanier l’intégralité de la Loi. Mais remettre en cause son emblématique article 55, qui est en quelque sorte l’essence même de cette loi, revient à vider cette loi de son sens. Et c’est bien beaucoup plus que simplement symbolique et ouvre la porte aux futurs abus éventuels.

Logement intermédiaire , c’est quoi ?

Le gouvernement Attal veut donc inclure le logements du type intermédiaire dans les 25 % des logements sociaux. Or, un logement intermédiaire n’est pas un logement social. En pratique, ces biens en sont même assez loin. Le logement locatif intermédiaire (LLI) serait  destiné à des ménages dont le revenu est trop élevé pour prétendre à un logement social dont les plafonds sont déjà suffisamment élevés, comme on le verra un peu plus tard.

Par contre, et c’est là toute la différence, l’investissement dans ce type d’habitations vient en bonne partie des investisseurs institutionnels, du secteur privé notamment, qui bénéficient des mêmes avantages fiscaux dont bénéficient les opérateurs des HLM. 

D’ailleurs pour le tout dernier plan de construction de 10 000 logements du type logement intermédiaire dont le montant devrait avoisiner 1 milliard d’euros, près de la moitié vient des compagnies d’assurance. Les mêmes qui essayent de revenir sur le marché de l’investissement institutionnel et investissent dans le logement intermédiaire depuis près de 10 ans. 

En clair, on propose une solution existante, réactivée plus ou moins sous la présidence de François Hollande sans toucher à la législation en vigueur, en se disant que sous Macron ça marchera forcément mieux, si on libère certaines communes de leurs obligations en termes de logements sociaux.

A qui bénéficie un logement intermédiaire et quels sont les plafonds ?

Dans tous les cas, le gouvernement, le premier ministre et le ministre délégué au logement y croient. Selon eux, cela devrait relancer la construction et répondre aux besoins en logements de la majorité. C’est sans compter que cette majorité là qui a besoin des logements n’a absolument pas les moyens pour accéder à ce type de bien, que cela soit en location ou en acquisition.

De plus, même si nous nous limitons seulement “aux classes moyennes”, à quelle catégorie correspondent-elles au juste ? 

En France, 60% des français sont éligible à un logement social. C’est le Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires qui le dit en mettant l’accent sur le fait que les plafond d’éligibilité à un logement social sont, malgré toutes les idées reçues, relativement hauts (ici). 

Concrètement, là où, par exemple, une mère avec ses deux enfants doit toucher moins de 3940 € par mois pour prétendre à un logement social, pour un logement intermédiaire pour la même famille le plafond sera d’environ 9340 €, soit un plafond trois fois plus élevé

A quelle catégorie des “classes moyennes” ce dispositif s’adresse-t-il au juste? 

Par cette mesure, le gouvernement ne répond absolument pas à la crise du logement ni aux populations qui en ont le plus besoin. Il répond et fait cadeau aux communes, les plus aisées, qui sauteront sur l’occasion pour avoir le logement intermédiaire plutôt que le logement purement social. 

Il répond aux investisseurs institutionnels qui y voient une nouvelle opportunité en leur ouvrant les marchés des secteurs géographiques où le logement social aurait dû être prioritaire.

Et enfin, il répond, timidement certes, aux professionnels de la promotion et aux constructeurs désespérément à la recherche d’une relance sectorielle.

L’aspiration de la majeure partie de la population, en manque de logement, restera donc, elle, sans réponse.

Conclusions et Recommandations : Quelle base pour une ville plus inclusive et durable ?

Les gouvernements successifs, par leur passivité pour les uns et leur complicité pour d’autres, face à la financiarisation du secteur du logement et à la spéculation immobilière, ont plongé le logement et l’urbanisme dans le coma et sous l’appareil respiratoire, lui-même vétuste et d’occasion. Le gouvernement Attal est en train de débrancher totalement le patient et… “Que Hayek prenne soin de son âme”.

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Nous faisons face à une décision gouvernementale qui est d’un côté une simple hyper solution ad-hoc, alors que la ville et le logement ont besoin d’un véritable projet à long terme. Et de l’autre, il s’agit d’une décision politique et économique assumée dans le cadre d’un libéralisme le plus décomplexé

Pire, en profitant du prétexte de la crise du logement et de la relance de l’immobilier, sans y répondre, le gouvernement ouvre une brèche dans la loi SRU et toute la réglementation en vigueur. Si l’on modifie le cœur d’une loi, on modifie le chemin emprunté depuis toutes ces années qui est, certes, lent mais allait dans le bon sens. 

L’esprit de la loi SRU qui a inspiré tant jusqu’à même, récemment, la loi Climat et Résilience et son dispositif de la Zéro Artificialisation Nette de Sol (ZAN), s’envolera comme s’est envolé le rêve de 25% de logements sociaux à Neuilly Sur Seine. 

On peut légitimement s’attendre assez rapidement à un assouplissement des règles de construction et/où des normes environnementales. Alors que les premières ne sont déjà pas satisfaisantes et les secondes, pas suffisantes.

En rétrospective, les vingt années écoulées depuis l’adoption de la loi de Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) démontrent l’importance et la complexité de réformer l’urbanisme et le logement en France. 

Si la loi a indubitablement marqué un tournant décisif vers un urbanisme plus équilibré et solidaire, le parcours reste jonché d’obstacles et de défis persistants. Ce plan gouvernemental en est encore un parfait exemple.

Je classe la Loi SRU parmi les rares lois véritablement progressistes ces 30 dernières années. Et c’est ce côté progressiste qui marquera malheureusement un coup d’arrêt. 

Bien sur, on peut m’accuser du parti pris comme c’était déjà le cas après l’article sur la crise de l’immobilier (à consulter ici). Mais j’assume totalement le fait d’être passionné par ma profession et le secteur d’activité dans lequel j’exerce et d’aimer les gens que je côtoies. J’assume de ne vouloir que le meilleur pour elles/eux. Et j’assume de considérer que ce meilleur ne peut venir que par un projet de société progressiste, équitable et égalitaire. Le logement et l’immobilier n’échappent pas à la règle.

Quelle place d’ailleurs pour les propriétaires accédants, les acquéreurs (souvent les mêmes que les propriétaires accédants, sauf quand il s’agit des primo-accédants) et les personnes à la recherche d’une location décente et au loyer abordable ?

Je tenterai de répondre à cette question, de mon point de vue, une prochaine fois. Mais je peux déjà dire que là où on a cruellement besoin de plus de participation citoyenne, parce que cela concerne après tout nos lieux de vie et un projet global de société,  il n’y en a aucune ou très peu.

Comment faire La Ville, un ensemble de lieux de vie, plus solidaire, plus vivante, plus inclusive si dès le départ on exclut toutes celles et tous ceux qui en font véritablement l’âme ? On aurait presque déjà l’impression de revenir plus de 20 ans en arrière. Avant la Loi SRU. Avant même le rapport Sueur “Demain la Ville”.

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Auteur : Arland Mehmetaj
Professionnel de l'immobilier depuis plus de 20 ans, j'interviens comme consultant au sein de Garage&Grenier dont je suis co-fondateur. Je rédige également les éditos et les analyses concernant le secteur de l'immobilier pour le blog du site ainsi que pour d'autres plateformes.

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